WITHOUT 2018
Without est tirée d’un ensemble où le mode de présentation choisi, en ligne continue sur l’intégralité des murs d’un espace donné, a été privilégié afin de créer un rythme marqué, allusion à la configuration tradi-tionnelle des dortoirs dans les hospices, hôpitaux ou centres d’accueil pour migrants. Le regardant, en passant devant cette suite, se retrouve dans la situation d’un visiteur déambulant d’un lit à l’autre. Ils sont vides. Pourtant, chacun d’eux évoque avec force le corps humain. Les draps portent les traces ténues de cette présence. Ils sont parfois froissés et même tachés ou, au contraire, soigneusement arrangés avec une attention qui dit l’importance qu’ils ont aux yeux de ceux et celles pour qui ils sont le refuge ultime de leur intimité. Quelques objets soulignent cette idée d’espace protecteur pour ces personnes particulièrement fragilisées. C’est le lieu où l’on lit, où l’on prie, où l’on existe au travers de son corps dont on prend soin bien sûr, mais aussi au travers de ses pensées, de ses souvenirs de ses espérances, avec cette force qui est celle du désespoir. La poésie qui se dégage de ces images est de l’ordre de l’indicible. Il s’agit d’une poésie de l’absence et du regret, de cette rencontre manquée entre ces êtres en souffrance et notre propre fragilité, cette faille qui révèle, souvent de manière inattendue, cette part d’humanité qui fait de nous des êtres humains à part entière. En nous invitant à regarder, l’un après l’autre, ces lits, à un rythme répétitif, Paolo Topy nous permet de vivre l’expérience de l’autre au travers de son absence. Nous devenons, au fur et à mesure de notre circulation, attentifs au moindre détail qui viendrait témoigner d’une présence. Impercep-tiblement, nous devenons attentifs à l’autre. Cette attention fait de chacun de nous les témoins d’une dé-tresse que trop souvent nous feignons d’ignorer, éveillant une conscience trop souvent éteinte.
Yves Peltier