Les Mégères

Paolo Topy Rossetto Photographer - Les Megeres

LES MÉGÈRES 2015

Photo

Trois photographies forment ce triptyque. Il s’agit de trois prises de vues frontales, volontairement identiques comme le seraient celles, très stéréotypées et rigoureuses, d’un inventaire scientifique. Chacune d’elles représente un buste antique en marbre. Ce sont des portraits de femmes de l’aristocratie romaine conservés dans les collections des Musées du Vatican à Rome. Il ne semble, en apparence, y avoir eu aucune velléité particulière de la part de l’artiste autre que celle d’inventorier et pourtant il nous donne à voir l’essentiel. Chacun de ces visages est animé d’une vie étonnamment singulière qu’il a su révéler avec acuité, entre autre, par le choix de cette mise en scène, la répétition à l’identique de ce qui semble être un même cliché. Du coup, les caractères, les expressions, les attitudes se révèlent au regardant avec une certaine évidence voire théâtralité. Ce travail de Paolo Topy est une réflexion sur la vie et, entre autre, sur cette vie populaire qui fait la singularité de la société italienne. Une vie, une vitalité, immortalisée par les grands du cinéma italien depuis des décennies et qui prend, ici, une tournure tout aussi truculente. Une truculence que n’aurait pas renié Marivaux qui, en 1741, écrit pour le théâtre italien une comédie en un acte, La Commère, ou encore William Shakespeare avec sa pièce, écrite probablement en 1754 et intitulée justement La Mégère apprivoisée. Felliniaques, nos trois complices aux airs quelque peu grinçants et narquois semblent s’interroger sur le spectacle dont elles sont les témoins : le flot incessant de touristes qui visitent le Musée où elles sont présentées. Coites, elles donnent l’impression, malgré tout, de s’en amuser et être prêtes à railler et brocarder quiconque passe devant elles. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’elles ne restent pas de marbre. Ce sont, sans doute, des portraits funéraires. Au-delà de la mort, mais aussi des canons esthétiques imposés par l’art impérial de l’époque, elles paraissent avoir plus à nous dire sur la vie et ses facéties, sur les caractères et les comportements humains que bien des chefs d’œuvres des collections vaticanes tels que le Discobole ou le Laocoon devant lesquels se pressent quotidiennement des masses de touristes véritablement hypnotisés, autant par les discours des guides que par les performances et surenchères techniques de Miron, Agésandros, Polydoros et Athénodoros. Ces touristes venus du monde entier prêteront certainement moins d’intérêt où même aucun à nos trois « mégères » reléguées dans un couloir. Qu’importe. Nous pouvons imaginer qu’elles s’en moquent. Elles sont un pied de nez à l’art officiel où, plutôt, à une certaine forme de vision officielle de l’art, de son histoire, à l’académisme aussi brillant qu’il puisse être que cette vision induit immanquablement. Qu’est-ce que l’art ? Qu’est-il sans cette vie magnifiquement saisie par ce sculpteur anonyme ? Quel est, justement, son  rôle  dans la vie ? Qu’est-il comparé à celle de tous les jours, au bonheur de partager des moments de complicité avec d’autres êtres comme semblent le faire ces trois femmes que l’on jurerait avoir croisé dans la rue quelques temps auparavant? Autant de questions que l’on peut se poser devant ce triptyque et dont il est possible, à tout moment, de discuter entre amis à Rome dans une de ces trattorias foisonnantes de cette vie populaire propre à l’Italie.

Yves Peltier

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