LA FETE EST FINIE 2017
Cette œuvre a été réalisée en Afrique, au Sénégal plus exactement, aux abords d’une petite ville de province somme toute banale. Une de ces villes qui ressemblent à tant d’autres aujourd’hui. Elle aurait, d’ailleurs, pu être réalisée n’importe où dans le monde, sur n’importe quel continent tant ce qu’elle nous donne à voir échappe à l’anecdotique, au pittoresque. Comme souvent, Paolo Topy a privilégié une vision frontale accentuée par la saturation complète de l’image. Le sujet représenté envahit la totalité du champ de vision. Aucun repère autre. Nous faisons face à une réalité qui nous submerge et à laquelle nous ne pouvons nous soustraire. Nous sommes pris au piège de cette vue au format paysage dont le surdimensionnement vient accentuer la monumentalité. L’énormité, serions-nous tentés de dire. Cette image, aussi séduisante en apparence que tristement banale, nous donne à voir un amoncellement de détritus en tous genres : des papiers, des sacs en plastique, des bouteilles et autres déchets aussi variés que semble infinie cette vue, prise par l’artiste, d’immondices aux couleurs étonnamment acidulées et chatoyantes. Il ne s’agit pas d’une décharge organisée ou même sauvage, mais d’une simple accumulation liée aux vents. Elle ne permet pas d’identifier un lieu en particulier. C’est là, devant nous. C’est ici et c’est, en vérité, aujourd’hui, partout. L’image, très colorée, nous paraît étrangement belle. Une impression, un ressenti que l’emploi du présent dans ce titre donné par Paolo Topy, très affirmatif, impératif même, vient brutalement tempérer et même confondre. Il sonne comme une injonction et tranche singulièrement tel un couperet. Une sorte de malaise s’installe, de tristesse aussi. La fête est finie. Mais de quelle fête s’agit-il ? Celle à laquelle nous participons tous depuis des décennies. Une fête que nous avons su exporter aux quatre coins du monde, une fête devenue mondiale, une fête insouciante, totalement irresponsable et dont la fin, sinistre, se pare ici de mille couleurs vénéneuses. Devant une telle image, la prise de conscience est aussi brutale qu’un réveil de lendemain d’excès festifs. Pendant toute leur durée, nous avons consommé sans nous poser de questions, sans nous soucier de notre environnement, sans penser à prendre soin des autres et de nous-mêmes. Ce modèle de consumérisme effréné, nous l’avons érigé en mode de vie, en modèle absolu. Séduisant, fascinant même, il a été d’autant plus facile à imposer au monde. Devenu le véhicule facile d’une sous-culture qui a tout emporté sur son passage, il n’a laissé derrière lui qu’un immense désastre écologique mais pas seulement. Les modes de vie traditionnels, eux-mêmes, respectueux d’une relation équilibrée à la nature et des cultures parfois plurimillénaires ont été réduits à l’état de déchets et ont été balayés par la puissance des vents d’un trop plein d’optimisme inconscient. Ce qui était alors si vivant parce que respectueux de la vie est mort ou est en passe de l’être. Nous sommes sonnés et pourtant nous hésitons encore à agir. C’est vrai, quelle fête quand même! Et puis, il y a ce doute qui nous envahit. Cette prise de conscience qui s’immisce malgré nous et, avouons-le, cette angoisse de devoir se sentir coupable. N’est-il pas déjà trop tard ? L’ivresse aveugle nous tente alors, toujours et encore, comme ultime refuge devant cette réalité qui nous accable. Notre regard, posé sur cette image, hypnotisé par ces couleurs, séduit, doit changer. C’est à cet effort que nous invite l’artiste. Ce qui est beau ici n’est pas ce que nous voyons mais la capacité de Paolo Topy à nous faire vivre cette ambiguïté de l’image jusqu’au bout, jusqu’à l’éveil de notre conscience. C’est cette expérience de l’éveil, cette conscience retrouvée qui sonne véritablement la fin de la fête.
Yves Peltier