Clinic

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Paolo Topy Rossetto Photographer - Clinic 02
Paolo Topy Rossetto Photographer - Clinic 03

CLINIC 2014

Photo

Avec la série « Clinic », Paolo Topy évoque avec pudeur et sensibilité, en évitant toute forme de pathos déplacé et inutile, la maladie et la fin de vie dans un environnement hospitalier ainsi que la fragilité de nos destins d’êtres humains et de nos certitudes. Comme à son habitude, avec une grande économie de moyens, il a su créer une image simple, compréhensible par tous et riche de sens.

La maladie et la mort sont des drames largement banalisés, marginalisés voire évacués par notre société. Ainsi, la clinique ou l’hôpital sont, à la fois et de manière contradictoire, les lieux où l’on tente au mieux, de soigner, où l’on soulage et, maladroitement, accompagne mais aussi les lieux où l’on soustrait, trop facilement peut-être, à nos regard ce que l’on refuse de voir et d’admettre, en tout cas, ce dont on ne souhaite pas parler et débattre. La peur se mêle à la gêne, l’angoisse au dénie, à l’indifférence, à la culpabilité et à l’incompréhension.

Paolo Topy a repris, pour aborder ce sujet, un thème récurrent dans l’art occidental, celui de la nature morte.

Chacune de ces images à été prise dans un environnement volontairement aseptisé, stérile et froid. Cet environnement est celui d’un hôpital ou d’une clinique reconnaissable là, à une tapisserie ordinaire, blanche, là, à un carrelage également blanc à l’aspect glacé, ici, au mobilier rigide de métal et de verre et aux instruments médicaux nécessaires aux soins des patients. Des médicaments, parfois étonnement colorés, criards même, ponctuent et finissent d’évoquer cet univers. Leurs couleurs artificielles disent la tentative malhabile d’apporter de la gaité dans cet environnement.

Ces matières omniprésentes sont un prétexte à un travail sur la lumière. Elle domine et baigne une composition où toute présence humaine a été évacuée par l’artiste. Seuls ces objets représentés évoquent l’humain, ces souffrances physiques et morales et la manière qu’il a d’y faire face afin de tenter, du mieux qu’il peut, de les soulager. C’est une lumière froide, en apparence seulement. Une lumière qui, en fait, dit le besoin d’espérance : l’espérance gauche d’une guérison physique bien évidemment, l’espérance plus profonde de sérénité, de calme et d’apaisement, surtout.

Des fleurs sont présentées dans de simples verres à boire. Ces bouquets, très modestes, composés de fleurs simples qui semblent avoir été cueillies avec une véritable intention plutôt qu’achetées à la va-vite dans la boutique d’un fleuriste, trop vite fanées, ne sont pas sans évoquer les natures mortes hollandaises et la réflexion sur la vie, sa brièveté et la mort que ces dernières nous proposent illustrant, comme ici, un verset du Livre de Job : ” Pareil à la fleur, l’homme s’épanouit et se fane, il s’efface comme une ombre… ”. Si ces fleurs évoquent spontanément la peinture flamande, pour Paolo Topy, elles sont, en fait, plus proches de cette rose que Francisco Zurbaran a posé délicatement sur un plateau accompagnant une tasse dans une superbe nature morte qu’il a peinte vers 1630 et conservée à la National Gallery de Londres : « Tasse d’eau et rose sur un plateau ».

Une nature morte ou l’artiste espagnol nous dit la soif de clarté, de compréhension, autrement dit, de lumière de tout être humain.

Ces verres que Paolo Topy a photographiés sont ceux utilisés par les patients eux-mêmes pour étancher leur soif, des verres portés à leurs lèvres aussi par le personnel ou par leurs proches. Une soif qui est, aussi, une soif de vérité, de partage, de chaleur humaine et d’amour pour mieux comprendre et apprendre à accepter l’inacceptable, l’intolérable : la souffrance et la mort. Donner à boire est un geste parmi les plus simples et les plus humbles et des plus émouvants, un geste qui dit l’attention portée à l’autre, à la vie même quand celle-ci n’est plus qu’un souffle à peine audible. Il s’agit, pour l’artiste, d’un geste lumineux, justement, un geste de compassion et de vérité.

La maladie, la mort restent des expériences individuelles et souvent solitaires même si elles sont « partagées », le temps d’une brève visite, par des proches, des amis qui, désemparés, sans moyens d’agir, montre leur attention par l’offrande d’un bouquet composé de fleurs qui, inexorablement, se fanent. Elles évoquent la finitude de toute chose, des êtres et, terriblement, des liens qui les unissent. La chaleur du ressenti, ténu, semble s’être concentré dans les quelques traces de couleurs véritables encore perceptibles dans ces fleurs. Ces fleurs qui se flétrissent, qui pourrissent sont étrangement belles. C’est sans doute leur fin inexorable qui les pare de ces nuances si particulières, profondes et riches, qui les rendent si touchantes et fascinantes à la fois. Elles disent aussi, par leur modestie, la maladresse désemparée de ceux qui veulent montrer, par ce geste, qu’ils sont touchés, aussi, par ce qui arrive.

C’est dans ces moments de finitude, de tristesse, de douleur que patients, proches et amis ainsi que personnel soignant ont la possibilité d’entrevoir toutes la palette des sentiments parfois troublants qu’offrent ces moments difficiles pour ceux qui les vivent et tentent de les partager. Ces moments sont, étrangement, parmi les plus difficiles de leur vie et, ils l’ignorent sans doute, parmi les plus beaux. Des moments ou la fragilité des uns et des autres se révèlent et se rencontrent faisant tomber le masque des certitudes, des faux-semblants et des contingences, laissant ainsi la place à une possibilité de compréhension pour l’humain, pour ses fragilités et ses faiblesses.

Apparait, alors, la lumière parfois ténue mais toujours présente dans ces images crées par l’artiste, à portée du regard et de la pensée mais aussi la beauté de l’expérience de la vie, de ses doutes, de ses souffrances et, plus surprenant encore, de l’expérience de la maladie et de la mort.

Yves Peltier

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